ARTICLE DU 02/11/01 |
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Société
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La sécurité
routière vue de l’intérieur d’une auto-école avec Christophe,
Guillaume et Patricia au volant…
“ Les jeunes ont une prise de risque en moyenne plus importante
sans doute parce qu’ils vivent une période d’émancipation,
qu’ils accèdent à un instrument de plaisir extraordinaire — la
voiture ou la moto — et qu’ils baignent dans un univers dédié
à la mécanique. Il n’y a pas un élément plaidant en faveur du
respect des règles de sécurité ! Nous-mêmes, les adultes, ne
sommes pas des exemples !” Daniel Raymond, le coordinateur de la Sécurité
routière dans le département (voir par ailleurs) verse volontiers
dans l’autocritique collective. “On conduit mal !”, lance-t-il
également.
Raison de plus pour saluer d’un coup de chapeau Christophe et Virgile, le second étant le père du premier âgé de 16 ans et demi. APPRENTISSAGE PRÉCOCE : 2 À 3% DES PERMIS SEULEMENT ! Rue de Saint-Louis à Saint-Paul devant le siège d’une auto-école proposant la formation AAC. Père et fils viennent de s’asseoir dans la voiture, Christophe au volant, Virgile à l’arrière ceinture bouclée. Le quinquagénaire, policier dans le “civil” et poète à ses heures, a déjà accompagné l’aîné de ses trois enfants, Gilles aujourd’hui âgé de 27 ans, dans sa démarche d’apprentissage anticipé de la conduite. Cette première expérience avait eu lieu à l’époque en métropole. Le voilà qui récidive avec le benjamin de ses trois fils. Le cadet, Nicolas, n’ayant pas développé de dons pour la conduite, a présenté quant à lui le permis “B”. A croire que le saint des voyageurs s’est penché sur Christophe. Le jeune homme, également précoce en matière scolaire puisqu’il présente le bac section S en fin d’année, a déjà trouvé le moyen de parcourir 1 100 des quelque 3 000 km exigés au jour de ses dix-huit ans… en février 2003. Aujourd’hui, Claude, son instructeur le reçoit pour un premier rendez-vous “pédagogique”. Une heure de conduite pour faire le point sur les acquis mais aussi les éventuelles mauvaises habitudes prises avec les parents, moniteurs par substitution, à la fois tuteurs et accompagnateurs. “Ça s’est bien passé ?”, interroge Claude, yeux blue lagoon et pattes d’oie trahissant le sourire facile. “Oui, il y a bien eu quelques engueulades de temps en temps mais ça resserre les liens !”, répond vigilant Virgile. “Bon, on va voir ça !” Une heure d’intersections, de ronds-points, de rangement en bataille et assez de créneaux pour rebâtir les remparts du krach des chevaliers révélera que l’instruction de papa-maman a porté ses fruits. “Je surveille surtout l’allure et la distance de sécurité”, insistera le père, pas mécontent du tout de son rejeton. Un fils modèle, qui ne fume pas, ni ne boit d’alcool et pense à la sécurité avant tout. Une exception presque. “Généralement, les jeunes en conduite accompagnée ont tendance à rouler plus vite car ils se sentent en confiance et nous sommes obligés de les recadrer mais Christophe n’a pas ce penchant pour la vitesse”, conclut Claude, livret AAC en main. Le moniteur regrettera en apparte le petit nombre de candidats à la formation anticipée. Confirmation de Daniel Raymond, précité. Les candidats AAC ne représenteraient que 2 ou 3% du total des permis par an à La Réunion contre 15 à 20% en métropole… Ils seraient tout aussi rares à entamer une formation de type BEA (boîte et embrayage automatique) à en croire Claude, à la fois gérant et moniteur d’une auto-école au Butor à Saint-Denis spécialisée dans l’instruction aux personnes handicapées. La faute pour partie aux associations qui vivent des subsides liés au transport collectif et ne tiennent donc pas à ce que leurs adhérents acquièrent une autonomie plus grande, explique en substance Claude. Sa société comprise, les auto-écoles formant les handicapés à la conduite seraient en tout et pour tout trois dans le département. Le mot “handicapé” a bien du mal à passer ses lèvres toujours prêtes, pourtant, à envoyer une galéjade. “Une fille est venue prendre des cours avec moi. On lui avait greffé deux doigts au bout de l’avant-bras gauche et elle ne pouvait utiliser le bras droit. Je voudrais que tous les gens dits normaux conduisent comme elle !” “JE PRÉFÈRE FAIRE ATTENTION DÈS LE DÉPART” Guillaume, 18 ans, originaire de La Montagne n’est pas non plus ridicule au volant, loin s’en faut. Pourtant, mercredi 31 octobre à 9 h, il s’asseyait pour la toute première fois à la place du conducteur. La rage au ventre. “On n’a pas les mêmes dispositions que les autres au départ dans la vie, donc on essaye d’arriver au même stade. Comme tout le monde dans cette société je veux conduire, ce qui me sera utile quand il s’agira de trouver du boulot et afin de poursuivre mes études. Je suis en première année de Deug de géographie à la faculté du Moufia et je dois me lever tous les jours aux aurores”, explique ce gaillard au physique de Samoen et au bras gauche atrophié. Son handicap n’en est pas un, a estimé l’organisme d’évaluation. Il ne lui a été royalement accordé qu’un coefficient de 20/30%. “Je ne me suis jamais servi d’un couteau…”, précise doucement Guillaume. BEA ou pas, toute formation commence par une heure d’évaluation. Au moniteur revient la mission de jauger les connaissances théoriques du futur candidat au permis (notions des principes mécaniques, des règles de sécurité), son attitude générale et sa dextérité sur la route. A l’issue de la séance, les points positifs ou négatifs affectés aux réponses sont additionnés. Le total doit permettre de calculer le nombre d’heures de cours théoriques que suivra l’élève avec un minimum légal de 20 heures. La voiture où Guillaume a pris place (propriété de l’Association réunionnaise des handicapés physiques mais dont Claude assure l’entretien et dont il paye l’assurance) est certes adaptée : boîte de vitesses automatique, boule au volant et boîtier de commandes par impulsions électriques (vitres, feux de détresse, klaxon, essuie-glaces…). Pas de temps à perdre, vitesse sur “D” (drive) et main droite sur la boule — qu’il ne faut perdre sous aucun prétexte ! — Guillaume finit par arriver sur le parking du gymnase de Champ-Fleuri. Malgré une propension à cajôler les bordures de trottoirs et une direction fluctuante, Guillaume s’en sort bien : 24 heures de cours devraient lui être nécessaires pour décrocher ce sésame si précieux. Bien moins que la vie, néanmoins. “UNE RECETTE” “Deux de mes amis ont eu un accident et l’un d’entre eux est resté longtemps dans le coma. Ça nous a tous touchés. En ce qui me concerne, pas de vitesse, je préfère faire attention dès le départ !”, jure Guillaume. A l’instar de Christophe et de Guillaume, Patricia a également le volant facile. Mardi 30 octobre à 14 h, la jeune femme débutait sa dix-huitième séance d’instruction. A sa droite, Armand, patron d’une auto-école de Saint-André, avenue Ile-de-France, ancien inspecteur du permis de conduire en métropole, président du Comité de défense des intérêts de la sécurité routière et des auto-écoles de l’Est, 35 ans sur l’asphalte s’il vous plaît. Armand a élaboré sa petite technique personnelle tout en suivant à la lettre et dans l’ordre les différentes étapes d’apprentissage détaillées dans le pré-permis. “Je ne trouve rien de difficile là-dedans. C’est une procédure à suivre, une recette. L’élève a tous les ingrédients pour élaborer son cari !”, sourit-il avant de marteler : “Conduire c’est voir, comprendre, décider, agir. Il ne faut pas s’affoler mais analyser la situation !” Patricia, 26 ans, et trop d’envies d’“auto-nomie” dans les jambes n’en est pas encore là à en juger par l’aiguille du compteur de vitesse dans les virages de Cambuston et une petite faiblesse du côté des intersections. Cette séance longue d’une heure aura permis au moins d’aborder le problème des voies d’accélération et de décélération, lesquelles relèvent de la grande inconnue pour nombre d’usagers de la route. L’examen du permis est en vue, mi-novembre. Voilà une autre étape à aborder sérieusement. “Je suis sans-emploi, j’ai besoin de le réussir afin d’aller sur le marché de l’emploi”, insiste Patricia. Jeune conductrice, elle ne fera pas fi des règles si longuement apprises. “Il y a de plus en plus de personnes qui ne respectent pas le code de la route !”, se lamente-t-elle. On en voit le résultat tous les jours. LA MOTO, "TIRE-BOUCHONS" IDÉAL Il y avait foule lundi 29 octobre sur les coups de midi trente sur la piste de la Jamaïque. Plusieurs auto-moto écoles s’y étaient donné rendez-vous, soit pour présenter des élèves au permis, soit pour s’entraîner. Comme le regrettait Patrick, gérant d’une société installée à Sainte-Marie et à Sainte-Clotilde, par ailleurs moniteur-moto passionné et émérite, les endroits manquent à La Réunion, du moins dans le Nord du département, pour enseigner les subtilités du pilotage avec (moto dite à l’hurlante, slalom entre des plots, parcours chronométré de 150 mètres pour sept virages en-dessous de 22 secondes aller-retour…) ou sans moteur (maniabilité, déplacement, béquillage). On ne répétera jamais assez les risques liés au “deux-roues”. “Un accident à 60 km/h dans une voiture dotée d’air bag (s) ne peut être comparé à une chute de moto à la même vitesse. Les dommages dans ce dernier cas sont forcément corporels”, insiste Patrick. Les statistiques de la Sécurité routière lui donnent malheureusement raison. Soixante-cinq pour cent des victimes graves dans la tranche d’âge des 18-24 ans sont des motocyclistes comme le sont également 60% des tués dans la catégorie des 25-44 ans. Antoine, 27 ans, ne connaît peut-être pas ces chiffres. En revanche, ce jeune médecin spécialisé en imagerie au CHD Félix-Guyon à Bellepierre a vu au trop fameux hôpital de Garches, où il travaillait naguère, paraplégies, tetraplégies, fractures et traumatismes de toutes sortes. “Tous les gens de mon métier sont extrêmement prudents”, assure-t-il. On ne l’en dissuadera pas, une semaine à La Réunion l’a convaincu d’adopter le deux-roues. “Je suis allé à La Saline une fois et j’ai passé deux heures en voiture. Je compte bien profiter de mon séjour dans l’île et donc j’ai entrepris de m’initier à la moto”, poursuit cet hédoniste. Le cas d’Antoine est symptomatique d’une tendance qui, selon Patrick, va en s’amplifiant à La Réunion depuis cinq ans. La passion de la moto a été détrônée au hit-parade des motivations par le pragmatisme : la moto plutôt que les bouchons ! La 125 dans un premier temps puisque la conduite de cet engin est autorisée avec un permis “B”. Pas fous, les motards par nécessité, dans le genre d’Antoine, qui n’ayant jamais posé séant sur une selle préfèrent prendre des cours. La bonne démarche. Bon nombre ne tardent pas à passer à plus confortable, plus rapide, surtout s’ils ne sont plus dans la tranche d’âge des 18/21 ans laquelle impose de conduire des motos bridées à 34 chevaux. Un archaïsme à entendre Patrick. Georges, 43 ans, également rencontré sur la piste de la Jamaïque, fait partie de cette catégorie, pour plusieurs raisons. “J’ai peur qu’on me vole ma 125 (les probabilités sont élevées en effet, ndlr) et puis je compte utiliser la 500 cm3 que je souhaite acquérir aussi bien pour mon boulot — Georges est artisan du bâtiment — que pour mes loisirs…” LES CONDUCTEURS "NOVICES" VUS PAR LES ASSUREURS Les relations ne sont pas au beau fixe entre les conducteurs dits “novices” (toute personne qui n’a pas eu d’antécédent pendant les deux dernières années selon le Code des Assurances) et les assureurs. Relations “policées” certes mais quelque peu tendues. “Les 18-25 ans ont deux à trois fois plus de sinistres que les adultes. C’est en général à ce moment de sa vie que l’on passe le permis. Les jeunes roulent un peu plus que les adultes, encore que ce soit moins vrai à La Réunion, et puis il y a ces fichues sorties du week-end où se conjuguent l’alcool, la fatigue et l’inattention, un cocktail détonant”, commence Alain Avril, l’actuel président du Comité des assurances de La Réunion (présidence d’ailleurs tournante). A l’en croire, ces comportement et taux de “sinistralité” justifient la cherté de la prime d’assurance demandée aux conducteurs novices. En revanche, on se veut plus conciliant avec les jeunes se présentant au permis de conduire avec 3 000 km au compteur, selon la formule de l’apprentissage anticipé de la conduite (AAC) … Celles et ceux qui choisissent cette formule afficheraient en effet dans leurs premières années de conduite une expérience, un facteur “irremplaçable” selon Alain Avril, et une sinistralité inférieure de 30 à 40% à celle des titulaires du permis “B” classique. En conséquence de quoi, “la plupart des compagnies appliquent une majoration moindre”. On appréciera la nuance sémantique. Il ne s’agit pas d’une réduction de la prime mais d’une “réduction de la majoration”, elle-même calculée différemment si le conducteur est… une conductrice ! “Les accidents sont moins graves quand il s’agit d’une fille”, explique en effet Alain Avril. Un paramètre important, affirme en substance l’assureur en faisant référence à l’“envolée” des prix de la réparation automobile et des coûts en matière de sinistres corporels… La prime, si l’on peut dire, aux conducteurs avisés car prudents. Treize ans de conduite irréprochable valent un coefficient (“bonus” dans le langage courant) de 50% ou 0,50… Reste que selon le Comité des assurances, 15% des conducteurs réunionnais auraient un “malus” et 25 à 30% des véhicules circulant sur le réseau routier départemental ne seraient pas assurés… Textes et photos : Philippe Linquette
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